Fatima est étudiante en médecine. Mina est peintre. Najellah veut poursuivre ses études de sciences politiques parallèlement aux cours de français qu’elle suit déjà. Shabaam veut à présent devenir entraineuse de football. Avant de quitter l’Afghanistan, elle était joueuse professionnelle et militait pour le droit des femmes. Quant à Zahra, elle était journaliste. A son arrivée en France, elle a intégré une troupe de théâtre en province puis s’est rendue à Paris. Toutes cinq nous font face. Elles ont entre 25 et 30 ans et laissent entrevoir un mélange saisissant de détermination, de force et de tristesse. Toutes cinq, originaires des différentes provinces du pays, ont quitté l’Afghanistan lors de la prise de pouvoir des Talibans à Kaboul en août 2021. Une obligation. Autant due à leurs engagements pour les droits de l’homme, pour le droit des femmes, à leur opposition au régime religieux qu’à leur refus « de ne plus pouvoir continuer à vivre, de ne plus pouvoir rêver, la promesse d’une vie emprisonnée ».
« Je ne voulais pas partir, surtout sans dire au revoir à ma famille, à mes amis », continue Shabaam. Leurs départs sont comme autant d’arrachements et de chemins multiples. Engageant les unes à trouver leur salut depuis un aéroport au Pakistan, obligeant les autres à patienter pour trouver place parmi les vols quittant dans la précipitation l’aéroport encerclé de Kaboul.
Cet après-midi là, c’est Zahra qui nous accueille. Dans son salon à la décoration délicate, elle a disposé quelques attentions pour ses visiteurs. Sa fille de 4 ans est à l’école toute proche. Elle sourit, heureuse de pouvoir dessiner en France « un avenir, d’avoir de la liberté, de la sécurité ». « En Afghanistan, je ne serais peut-être plus vivante » poursuit-elle. Ses débuts en France ont pourtant été compliqués. « Il a fallu recommencer tout à zéro. Je ne parlais pas la langue, première condition pour trouver un emploi. Je déménageais aussi chaque mois », explique-t-elle. Une situation qui aujourd’hui a pu évoluer. « Avoir trouvé une solution de logement nous a permis de souffler. C'est une base même si elle ne fait pas disparaitre tout le stress que nous pouvons ressentir chaque jour », explique Shabnam. Cette solution de logement est venue de la mobilisation de la Ville de Paris et de la Fondation de l’Armée du Salut et d’un dispositif intercalaire mis en place par Paris Habitat.
« Ce dispositif permet de mobiliser des surfaces temporairement vacantes et répondre à une utilité sociale, y compris dans le quartier », explique Nathalie Chastanet, cheffe de service gestion locative à Paris Habitat.
En d’autres termes : dans le cadre d’opérations lourdes de maîtrise d’ouvrage, à venir, cela peut être des projets de réhabilitation de patrimoine, des démolitions précédant de nouvelles constructions, il est nécessaire de créer une vacance de logements en amont. Des logements peuvent donc se trouver libres. « Dans cet intervalle, Paris Habitat peut donc accueillir par l’intermédiaire d’un conventionnement avec des associations ou des organismes publics, des familles, des personnes isolées, des demandeurs d’asile ou des activités. L’intercalaire représente aujourd’hui environ 150 logements sur différents sites de notre patrimoine et avec différents partenaires », précise Nathalie Chastanet.
C'est le cas ici, à la Porte de Montreuil (20e). Ce site doit en effet bénéficier du Programme national de renouvellement urbain (NPNRU) et d’une opération de réhabilitation en 2026. En janvier 2023 et pour une première année d’expérimentation, 8 logements, dans le diffus, ont été proposés à la Fondation de l’Armée du Salut, grâce au soutien de la Ville de Paris. 17 personnes, originaires d’Afghanistan et d’Iran, y résident actuellement. « Nous avons une famille avec deux enfants qui occupe un T3, un couple sans enfant un T1. 8 personnes seules ont été réparties en une cohabitation dans un T3 pour 3 femmes, deux sœurs vivent dans un T2. Deux femmes et un homme habitent seuls dans des T1 », décrit Odile Grellet, directrice responsable du projet pour la Fondation de l’Armée du Salut, titulaires des baux dans le cadre de la convention établie avec Paris Habitat.
Tous sont engagés dans un parcours de stabilisation, contribuant au loyer et s’acquittant des charges de leur logement auprès de la Fondation qui en reverse le montant ensuite à Paris Habitat. C’est également la Fondation qui effectue les états des lieux à chaque entrée et réalise le suivi comptable. Elle s’assure du respect du règlement intérieur et accompagne les personnes à veiller au bon entretien des logements. « Nous mettons également en œuvre un suivi pour les aider dans leurs démarches administratives, dans leur accès au droit. Nous les accompagnons dans la découverte du territoire, de ses acteurs et mettons en œuvre des partenariats en fonction des besoins des personnes, avec les Equipements Parisiens de Solidarité (ex-CASVP), la Caf, les missions locales », poursuit Odile Grellet. Cette organisation et le dispositif dans son ensemble doivent en effet permettre aux personnes de se préparer au futur rôle de locataire en titre de son propre logement et à un avenir en France.