Avec Lucienne, on voit un peu défiler les pages d’un livre d’histoire. Sauf qu’à ses côtés, chacune de ces pages est illustrée par la vraie vie et son parcours. Prenant et intime, drôle aussi, l’ensemble est conté avec un air malicieux et vient, sans qu’elle l’ait cherché, résumer plusieurs pans de notre histoire et un peu aussi, du cœur de mission du logement social.
Née le 1e novembre 1924, voici à présent 100 ans, Lucienne a vu le jour dans une ferme du département de la Vienne (86). Après la seconde guerre mondiale et dans le contexte d’exode rural, la jeune femme quitte ses parents fermiers pour rejoindre sa sœur à Paris. "Je voulais une meilleure vie qu’à la campagne et ma sœur était déjà installée à Paris, avec son mari. Ils travaillaient tous les deux dans un café", se rappelle-t-elle. Elle n’y travaillera pas elle-même. "J’avais suivi ma scolarité dans une école tenue par les bonnes sœurs de mon village. J’y avais appris la couture. Or ma sœur avait justement une amie qui travaillait dans ce milieu", continue-t-elle.
Voici donc Lucienne couturière, à Paris. "C’était une belle époque, celle des années 1950, le vieux Paris" qu’elle fait revivre, ce soir-là, sous nos yeux. "Vous connaissez le couturier Jacques Fath ?", nous questionne-t-elle. Ce grand couturier français, considéré comme l’une des grandes influences dominantes de la haute couture d’après-guerre et mort en 1954, ouvrit ses portes à Lucienne. "Cela a été ma première maison de couture. J’y ai été petite main, c’est le poste par lequel une couturière débute, une ouvrière d’exécution", continue-t-elle. Une activité stoppée à la naissance de ses enfants, nous raconte Dominique, sa fille. "Après son mariage avec mon père qui était chauffeur livreur puis surveillant au ministère de la défense, puis notre naissance, ma mère s’est arrêtée de travailler. Cela a duré 15 ans le temps de nous élever moi et mon frère" précise-t-elle. Et ce, au sein d’abord d’une Habitation bon marché (HBM), les premiers HLM de Paris, située dans le 19e. "C’était une autre époque", se souvient Dominique. "Nous étions heureux mais vivions à 5, avec ma grand-mère, dans un 3 pièces chauffé par la cuisinière à bois et le charbon qu’il fallait aller chercher chaque jour en bas."
Les années 1970 furent, comme pour beaucoup de français, celles des bouleversements. Quittant leur HBM, la famille de Lucienne obtient un logement social plus grand dans la cité Curial (19e) qui, construite en 1966, constitue alors, avec ses près de 1800 logements, la plus grande cité de Paris intramuros. "Quand nous sommes arrivés, cela a été comme une ouverture sur la modernité. Nous avions un ascenseur, une salle de bain et des toilettes chez nous, le chauffage central que nous découvrions", énumère Dominique.
Parallèlement, Lucienne autant "par nécessité que par passion" retrouve son métier de couturière. "J’ai alors travaillé en tant qu’intérimaire dans toutes les grandes maisons de couture de l’avenue Montaigne (8e) : Coco Chanel, Dior, Hanae Mori notamment. J’ai fini première main. C’est celle qui tient la fonction de contremaître", se satisfait la centenaire. "Tu nous faisais aussi de beaux vêtements avec ta machine à coudre et les chutes de tissus", rappelle Dominique. "Nous travaillions beaucoup mais cela a aussi été des années de fêtes après chaque collection. J’ai vécu des années formidables", conclut Lucienne.